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Pourquoi Israël n’attaquera pas l’Iran

Pourquoi Israël n’attaquera pas l’Iran

 

 

 

 


Une attaque d’Israël contre l’Iran est risquée, mais elle prouverait que l'État hébreu est capable de changer les rapports de force. Mais plus les dirigeants israéliens bombent le torse et claironnent leur détermination, plus une analyse approfondie démontre qu’une telle opération n’est pas réalisable.

Menacé d’être rayé de la carte par Ahmadinejad, Israël fait savoir depuis des mois qu’il se prépare activement à lancer une frappe sur les installations iraniennes. Une telle opération politiquement très dangereuse présente aussi des risques militaires importants.

En mai 2009, le CSIS (Center for Strategic and International Studies) de Washington publie une étude de deux experts en stratégie militaire.

Cette étude affirme que l’aviation israélienne passerait très probablement par une route qui, après avoir remonté les côtes du Liban et de la Syrie, longe la frontière entre la Turquie et ses voisins syriens et irakiens pour pénétrer en Iran par le Nord-Ouest. A titre optionnel, le scénario proposé indique une pénétration par le centre de la Jordanie et de l’Irak ou le contournement de la Jordanie par le Sud, au-dessus des déserts saoudiens, pour déboucher sur le Golfe Persique. Un scénario repris en chœur par l’ensemble de la presse mondiale et validé par celle-ci comme étant crédible.

Peut-on imaginer les saoudiens et les jordaniens laisser leur espace aérien violé par Israël pour bombarder d’autres musulmans ? La donne a changé depuis le raid sur Osirak. Ces pays ont maintenant des forces aériennes de défense significatives qui n’hésiteront pas à intervenir. Imaginons la situation d’un corps expéditionnaire israélien pris à parti par la redoutable chasse saoudienne ? Israël peut-il se payer le luxe politique d’une confrontation militaire avec le royaume wahhabite ?

Si le passage au-dessus de la Syrie, en collant fortement à la frontière turque, est plausible compte-tenu de la faiblesse chronique des moyens de détection syriens, l’étape irakienne l’est beaucoup moins. L’espace aérien du Nord de l’Irak est sous l’étroit contrôle de l’US Air Force, et pour l’extrême-Nord à l’aviation turque qui y mène ses opérations contre les Kurdes. Difficile d’imaginer la rencontre fortuite d’un corps expéditionnaire israélien avec son ancien allié turc et des Américains chargés de faire respecter la souveraineté irakienne.

Car c’est d’un véritable corps expéditionnaire qu’il s’agit.

Une telle expédition requiert des appareils de guerre électronique, au moins un Awacs, l’ensemble de la flotte de ravitailleurs, et ils ne sont pas nombreux, auxquels s’ajouteront les bombardiers et les chasseurs chargés de l’escorte ; le tout à pleine charge. Les militaires ont à résoudre le problème fondamental de l'éloignement des sites visés. Et ils savent qu'ils ne pourront disposer d'aucune aide de la part des Américains.

«Il faut qu’ils se frayent un passage» souligne Michael Knights du Washington Institute, qui suggère une route alternative contournant la péninsule arabique, un périple au dessus de la Mer Rouge et du Nord de l’Océan indien. Un périple imaginable pour un raid limité à une dizaine de chasseurs, mais irréaliste pour une force de plusieurs dizaines d’avions qui seront repérés tout au long de leur transit.

De plus, ces scénarios ne prennent pas en considération le besoin de secourir des équipages en détresse et ne détaillent pas la manière avec laquelle cela pourrait être fait. D’autant plus que l’opération se déroulera de nuit. Jane’s Intelligence Review suggère qu’Israël pourrait déployer un groupe naval dans la Mer d’Arabie, avec un navire marchand reconverti servant de porte-hélicoptères avec une escorte de corvettes Saar 5. Mais cela ne vaut que pour l’option du contournement par la Mer Rouge et est-ce bien crédible ? Reste qu’aucune réponse n’est apportée à la question existentielle : comment rentrer à la base après avoir largué ses munitions ? En croisant les doigts et en espérant leurrer tous les voisins comme à l’aller ? Alors que toutes les radios du monde seront déjà en train d’annoncer l’exploit ? Impensable.

Tout aussi impensable d’imaginer un deuxième raid dans la foulée du premier. Tous les objectifs doivent donc être traités en une seule mission. Une gageure.

L’un des principaux défis pour une telle frappe est la distance et la capacité à maintenir le contact avec les bases en Israël. L’Iran n’est pas dans l’arrière-cour, où des chasseurs-bombardiers peuvent atteindre le front en quelques minutes et en revenir aussi vite, mission accomplie.

Israël dispose de capacités de ravitaillement en vol très limitées, sept Boeing KC-707 et 4 Hercules KC-130H, mais ces derniers sont lents et ne se prêtent pas à cette mission au-dessus de territoires hostiles. Les Israéliens ont conscience de ce problème, raison pour laquelle ils avaient demandés à George W. Bush de leur fournir des ravitailleurs pour cette mission. En 2008, le président américain avait refusé sèchement ; les chances qu'Obama fasse le contraire sont très minces.

Les deux meilleures routes pour un raid (contourner la Mer Rouge ou longer la frontière turque) étant les plus longues, les besoins en ravitaillement n’en seraient qu’accrus. D’autant que les bombardiers devant exécuter leur mission en un seul raid, la priorité devra être donnée à l’emport maximal de charges offensives et non à l’autodéfense et aux bidons de kérosène. Le contournement de la Mer Rouge est le plus difficile à imaginer, il requiert trop de ravitaillements en vol, avec la conséquence que le raid serait réduit à la moitié de bombardiers participants par rapport à la solution de la frontière turque, la seule crédible. Seuls les F-15I Ra'am et les F-16I Sufa ont une allonge suffisante pour participer à une telle expédition. Avec leurs réservoirs CFT (Conformal Fuel Tank), ils ont un rayon d’action avec charges de 1.200 à 1.400km ; mais avant d’arriver à la frontière iranienne, ils devront parcourir plus de 1.700km. Ils seront donc déjà hors de leur rayon d’action avant même de pénétrer dans l’espace aérien ennemi. Les ravitailleurs devront donc les suivre le plus loin possible.

Pour une telle mission l’Heyl Ha'Avir doit mobiliser l’ensemble de ses F-15I Ra'am, soit 25 appareils pour autant qu’ils soient tous opérationnels le jour J ; le reste étant composé de F-16I Sufa, dont certains affectés à la protection de l’indispensable Awacs et des ravitailleurs ; d’autres seront entièrement absorbés par la mission de guerre électronique et de brouillage des détections ennemies, y compris les oreilles turques, syriennes et américaines. Pour cette dernière mission, il faudra probablement la présence d’un des trois G550 Nahshon-Shavit. Enfin, pour une mission d’une telle complexité, il faudra des appareils de commandements, certainement des F-16I Sufa biplaces également. Cela diminuera d’autant les appareils affectés aux frappes, une quarantaine au mieux. On l’aura compris, avec ses sept ravitailleurs, qui devront être pleinement opérationnels ce jour-là, Israël ne pourra jamais lancer un raid d’envergure, d’autant que les cibles sont dispersées dans un pays immense dont les frontières se trouvent pour certaines à 2.500km l’une de l’autre. L’allonge peut être améliorée par l’utilisation des KC-130H Qarnaf qui ravitailleraient le corps expéditionnaire au-dessus de la Méditerranée, juste avant la pénétration en Syrie. Une concentration d’avions que les nouveaux Awacs turcs vont immanquablement repérer ; et le jeu de la Turquie est trouble. L’US Navy et ses moyens de détection à longue distance saura immédiatement qu’une opération d’envergure est en cours. Que feront les Américains ?

Le deuxième ravitaillement devra s’effectuer au dessus de l’Irak, dès la sortie de Syrie et tout au long du trajet irakien ; sauf à imaginer que les ravitailleurs suivent en Iran, ce qui en ferait des cibles de choix pour les chasseurs iraniens, d’autant que la protection sera minimale. Les ravitailleurs devront donc effectuer durant au moins deux heures des «hippodromes» au-dessus de l’Irak, en attendant que les bombardiers reviennent de mission pour les ravitailler à nouveau pour le long retour, en empruntant le même chemin qu’à l’aller. Une étape périlleuse, d’autant que la nouvelle force aérienne irakienne est en train de récupérer 19 MiG-21 et MiG-23, remis à neuf, qui étaient stockés en Serbie. Des avions que Saddam Hussein avait mis à l’abri et qui n’avaient pu revenir pour cause d’un embargo levé depuis sa chute. Qui peut imaginer que les irakiens resteront inactifs alors que l’Iran voisin est attaqué depuis son territoire ? Quatre F-16I devront donc rester en Irak pour assurer la protection au-dessus du Kurdistan qui possède une défense anti-aérienne. Reste qu’à ce stade, on ne perçoit pas comment Israël pourrait déployer des moyens SAR (Search & Rescue), constitués d’hélicoptères de soutien, aussi loin de son territoire, dans une région sans continuité territoriale avec l’Etat hébreux. Une mission suicide pour les pilotes juifs en cas de capture. Il faudra encore retraverser le territoire syrien où, immanquablement, attendront une centaine de chasseurs alertés par l’opération; un guet-apens assuré. Et reste une question : que feront les Turcs dont on ne sait plus de qui ils sont les alliés ?

Les bombardiers en mission sur l’Iran ne pourront guère pénétrer loin dans le dispositif ennemi ; compte tenu de leur autonomie et du profil de vol, 1.000km sera le maximum de l’allonge. Dans le périmètre se trouvent néanmoins Karaj, Arak, Natanz et Ispahan ; d’autres objectifs peuvent être traités avec des missiles de croisière à longue portée (350km). Mais les objectifs à détruire devront être soigneusement choisis, afin de ne pas provoquer une catastrophe écologique et des pertes humaines massives ; sous la forme de retombées radioactives causant la mort de milliers de civils. Avec une quarantaine de bombardiers, aucun de ces sites ne sera complètement détruit ; d’autant qu’une partie des munitions devra immanquablement être réservée à la destruction des moyens de protection iraniens. En l’absence des redoutables S-300 russes jamais livrés, la défense anti-aérienne sera facilement neutralisée sur le parcours, elle est antédiluvienne et obsolète face à l’électronique israélienne. Mais les sites stratégiques sont eux fortement protégés par des systèmes mobiles TOR-M (SA-15 Gauntlet), dont l’Iran possède 29 exemplaires. Ces sites doivent être traités avec des bunker-buster, puisqu’on sait que les installations sont profondément enterrées et protégées par des murs et chapes de béton. Il faudra utiliser les GBU-27 de 900kg et les GBU-28 de 2.268kg fournies par les USA. Mais leur efficacité sera minime, à cause de leur nombre réduit et du fait que leur tir demande une précision absolue et un angle optimal. Et on imagine mal Israël utiliser des mini-nukes nucléaires pour faire exploser les galeries souterraines. Ces objectifs ne pourront donc pas être tous traités efficacement avec si peu d’appareils. Les dégâts qui seront occasionnés seront de toute façon réparables et le programme iranien ne sera retardé que de quelques années, un répit qui ne résout rien d’autant que la riposte risque d’être apocalyptique.

On le voit bien, un tel raid serait complexe, hautement risqué et rien ne garantit que la mission dans son ensemble se solde par un succès.

A la première bombe larguée, l’alerte générale sera donnée. Les Iraniens possèdent plus de 150 chasseurs de différents types en état de vol. Des avions anciens manquants de pièces de rechange. Insignifiants face à une force conséquente, ils pourraient se révéler meurtriers face à peu d’appareils n’ayant que le minimum d’autodéfense. Car de combien de missiles air-air seront dotés les avions attaquants ? Chaque missile emporté diminuera la charge offensive d’autant. Un casse-tête.

On peut raisonnablement penser que les F-15I auront quatre missiles AA et les F-16I deux AA ; mais la règle d’engagement prévoit qu’en tout état de cause 1 missile doit être conservé pour l’autodéfense sur le parcours de retour. Même avec 100% de tirs au but des Israéliens, il restera toujours suffisamment de chasseurs aux Iraniens pour entamer une poursuite jusqu’en Syrie.

Téhéran ne se contentera pas d’une course-poursuite. Une trentaine de Shahab-3 dotés de têtes chimiques sont pointés sur Israël, Ahmadinejad n’hésitera pas : ils seront tous tirés sur Israël. Avec les États-Unis, Israël a développé le missile antibalistique Arrow. Mais son efficacité est réduite face à des missiles à têtes multiples, or l’on sait depuis peu que les Iraniens ont également développé cette technologie et que leurs Shahab-3 comportent désormais 10 têtes.

Reste qu’à peine rentrés de leur raid, les pilotes israéliens devront immédiatement repartir à l’assaut. Nul doute en effet que tant le Hamas, depuis Gaza, que le Hezbollah depuis le Liban, feront tomber sur Israël les milliers de roquettes et missiles sol-sol que Téhéran leur a fournis depuis les dernières opérations de Tsahal.

Et que fera la Syrie, elle aussi équipée de missiles dotés de têtes chimiques ?

L’escalade serait fatale.

Le gouvernement israélien, s'il prenait la décision, politiquement très lourde de conséquences, d'une intervention militaire en Iran, devrait aussi assumer des risques militaires et opérationnels considérables sur son propre territoire.

Depuis sa création, Israël est coutumier des opérations-éclair inattendues, pour autant que l’État-major ait la certitude d’un succès total et de l’absence de conséquences pour la population israélienne.

On est loin du compte. Par Aldo-Michel Mungo



28/10/2010
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