terre en danger

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Rwanda

 

 

 

"Jean de Dieu (onze ans) était recroquevillé, une boule de chair en sang, juste un filet de regard sorti droit du néant, un regard sans vision fixant un autre corps: Marie-Ange (neuf ans) lovée sur un tronc d'arbre, les bras ballants, les jambes écartées souillées d'excréments de sperme et de sang, l'anus n'étant plus qu'une plaie béante. Dans sa bouche, un sexe coupé à la machette, celui de son père. Dans un trou d'eau puante gisaient quatre corps découpés, empilés: leurs parents et frères aînés. Nous les avons pris dans nos bras, à la va-vite, pour les installer dans la voiture. A cet instant est passée une voiture tout-terrain chargée d'hommes en armes; ils se sont mis à rire sadiquement. Le fait d'avoir dans les bras des corps d'enfants n'a aucunement modifié leur agressivité, il a fallu palabrer, comme toujours... Une pluie torrentielle a certainement été une providence, ils nous ont laissés allonger les deux gosses dans la voiture, et nous sommes repartis vers l'hôpital en se disant que le mot horreur devra un jour enfanter un autre mot plus terrible pour décrire ce genre de scènes vécues au quotidien par quelques volontaires encore présents à Kigali." (bulletin d'information N°30 de MSF. avril 1994. témoignage d'un médecin, René Caravielhe. repris par "Maudits soient les Yeux fermés" de Françoise Bouchet-Saulnier et Frédéric Laffont. Arte éditions/J.C.Lattès)

 

 

 

s: PLUS JAMAIS CELA !

L'ONU a mis 7 mois pour mettre en place en 1994, la première Commission d'Enquête en vue de recueillir les premiers témoignages tardifs pour le TPR (Tribunal Pénal International censé juger les crimes contre l'Humanité et crimes de guerre commis au Rwanda d'avril à juillet 1994).

DES dossiers d'enquête ont été dérobés, des preuves ont disparu, des suspects ont été libérés faute de libertés laissées à Kigali, aux quelques magistrats instructeurs encore en poste après la tragédie. Près de 130.000 présumés coupables de tous âges, croupissaient début 1999 dans les prisons insalubres du Rwanda, souvent sans aucun chef d'inculpation. 22 d'entre eux parmi les cadres du génocide ont été condamnés à mort et fusillés fin avril 1998 en "place publique", pour l'exemple. Les médias n'y étaient pas autorisés. D'autres condamnations ont été prononcées depuis, par exemple pour les deux derniers mois de 1999, 4 peines de mort et 44 peines de prison à perpétuité. 11 acquittements sont à verser pour la même période au crédit d'une sérénité renaissante de la justice rwandaise.

SI l'ethnisme, la peur et la haine ont été les moteurs des massacres, il apparaît vital d'en démonter les mécanismes génocidaires, de dénoncer l'organisation froide et préméditée de la "solution finale", et sa planification hiérarchisée...

UNE recherche au terme relatif de laquelle, des responsabilités diluées loin des charniers, mais pas très loin des bonnes consciences, devront aussi s'exhaler.

MAIS LE TEMPS PASSE : depuis 1994, le négationisme fait son chemin sous diverses bannières, et la banalisation du génocide est en route jusque dans les dictionnaires et autres encyclopédies populaires. Comble de cynisme, les sites du génocide sont en péril et le climat chaud et humide du Rwanda accélère la décomposition des ossements. Voilà que les moyens manquent pour la préservation des preuves irréfutables de la folie de l'homme..

 

 

Le RWANDA, "pays des mille collines", est un pays montagneux d'Afrique situé entre l'Ouganda au nord, le Zaïre à l'ouest, le Burundi au sud, la Tanzanie à l'est et traversé du sud ouest au nord ouest, par les hautes altitudes de la crête Congo-Nil. Pays essentiellement agricole (92% des habitants sont ruraux), producteur de fruits et légumes, de thé et de café.

 

                                

 

 

la houe ("izouka"), outil de base rudimentaire du paysan, forgée au Rwanda. Destinée au labour, la houe s'usait vite à cause de la mauvaise qualité du métal. Certains saisonniers incapables de se payer une houe, étaient liés par contrat à un paysan Hutu plus aisé et s'engageaient à cultiver 2 jours pour le donateur et 2 jours pour lui-même, ainsi de suite jusqu'à l'usure de l'outil. D'autres journaliers ne pouvant assurer le quotidien de leur famille, recevaient en salaire de leur peine chez autrui, un panier-ration par jour composé de haricots, de pois et de patates douces. Puis il y avait les agriculteurs aisés, qui ne pouvaient engager de main d'oeuvre mais s'entraidaient tels les paysans d'Europe au XIXe siècle, lors des moissons par exemple. Enfin, il y avait les riches agriculteurs qui avaient pour idéal de richesse, de vivre en échappant aux "servitudes" de la houe en employant des "brassiers". "Les Hutu ne constituaient donc aucunement un groupe économique homogène, cependant ils avaient toujours conscience d'appartenir au monde de la houe ". (selon "Histoire du Rwanda" de Bernard Lugan. 1997.Bartillat)

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   la vache ("inka"), et le bétail étaient originellement élevés par les Tutsi à qui ils appartenaient de droit divin. La vache avait un rôle social avant tout: elle donnait à peine 1 litre de lait par jour, était maigre pour la boucherie. Sa peau était encore ce qu'elle léguait de plus précieux. Par contre, il existait des "liaisons mystiques" entre l'homme et la vache. Une véritable civilisation de la vache s'était instaurée sous l'égide des "Mwamis", souverains Tutsi du Rwanda, qui avaient chacun un "double mystique", un taureau sacré vivant à la cour. Cette civilisation reposait sur 2 éléments: le prestige social, le pouvoir du possesseur de bétail d'une part, et l'amour de la vache d'autre part. Ainsi, les canons de beauté étaient parfois inspirés par les bovins, et les femmes souvent comparées à certaines vaches.

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Durant la période pré-coloniale, et pour asseoir son pouvoir sur les terres conquises aux "roîtelets" Hutu, l'aristocratie Tutsi avait instauré un système social centralisé de dépendance personnelle et de protection, l' "Ubuhake". En voici le principe de base: un homme d'un rang social donné vient se recommander à un autre d'un rang plus élevé qui lui octroye du bétail. En échange, si c'est un hutu qui le reçoit, celui-ci devra des travaux serviles et une quantité déterminée de produits vivriers, et cela à "perpétuité" puisque ce type de contrat retombera sur les héritiers si le bétail ou sa descendance est encore vivant à la mort du contractant. Si le "bénéficiaire" de ce prêt (car il n'est ici, question que de jouissance de l'animal et non de propriété) est un Tutsi, il s'acquittera de tâches de "conseiller, messager, informateur, compagnon d'armes, en un mot, l'instrument d'influence sociale et politique entre les mains de son maître..." ("Histoire du Rwanda")

Bien sûr, dans ce système, chacun est toujours l'obligé d'un plus gros qui lui aussi, offrira une protection totale à son subordonné. On comprend vite qui contrôle ainsi tout le bétail dans chaque région puisqu'il n'est meilleur protecteur que le chef d'armée, dont le grade revient en priorité aux Tutsi les "mieux nés" .

" Les avantages de l' "Ubuhake" évidents pour le groupe pastoral tutsi ont été vus sous un quadruple aspect:

 
  •  maintien de sa domination sur les agriculteurs.
 
  •  exploitation économique.
 
  •  défense de la cohésion sociale par la protection de la masse hutu.
 
  •  centralisation du pouvoir par le contrôle des autorités subordonnées." ("Histoire du Rwanda")

 

En bref, et sans développer ici qui sont les Twa, troisième communauté du Rwanda, nous dirons que les Tutsi n'ont pas le privilège de la richesse, ni les Hutu celui de la misère sociale. Des Hutu possédaient de grands troupeaux sans pour cela se plier à l'Ubuhake, d'autres, plus rares, étaient anoblis par le Mwami, souvent pour faits d'héroïsme, et devenaient ainsi Tutsi. l'exploitation économique touchait indiféremment les uns et les autres. Hutu et Tutsi vénèraient le même ancêtre mythique, "Gihanga", et "partageaient de nombreuses valeurs communes et transcendantes" depuis des siècles, et bien sûr, la même langue, le kinyarwanda .( toujours selon "Histoire du Rwanda" )

"Pour pouvoir parler d'une ethnie hutu et d'une ethnie tutsi différentes, devrait exister entre les deux groupes une opposition de langue, et/ou de culture, et/ou de religion, et/ou de territoire, ces oppositions constituant la définition de la notion d'ethnie. Or, au Rwanda comme au Burundi, Hutu, Tutsi et Twa parlent la même langue, ont une culture identique, pratiquent les mêmes religions et ont toujours vécu les uns parmi les autres... Le mot "ethnie" ne s'applique donc pas aux différences internes aux sociétés rwandaises et burundaises." ("Rwanda, généalogie d'un génocide" de Dominique Franche. 1997. Les petits libres.)

 

 

 

 

"QUI VA A LA CHASSE..... ?"
Simplifions l'Histoire, pratiquons le cliché : le Rwanda n'est le pays d'origine ni des Hutu, ni des Tutsi. Les uns seraient originaires d'Afrique de l'Ouest, bantuphones pratiquant l'agriculture, les autres, de tradition pastorale et nomade, viendraient de Nubie et seraient descendus vers le sud, poussant leurs troupeaux devant eux pour fuir la désertification du Sahara. Les deux groupes se seraient installés dans la région interlacustre (région des Grands Lacs) il y a environ 3500 ans. Seule une population clairsemée vivant de chasse et de cueillette, occupait alors la région, les "Khoisan" (Bushmen), qui peuvent être considérés comme les ancêtres des Twas, troisième groupe de population du Rwanda.

Le Rwanda est devenu un véritable état/nation sous l'impulsion de groupes Tutsi ou pré-Tutsi dont la dynastie émergente, les "Nyiginya" règnera du Xème ou XIIème siècle (selon les historiens), jusqu'à la fin du XIXème siècle. Dans un premier temps, ces "tombés du ciel" comme ils se faisaient appeler (ils seraient arrivés dans la région des grands lacs au Xème siècle, donc 20 siècles environ après les premiers pré-Hutu et pré-Tutsi), vont conquérir les royaumes Tutsi des "trouvés sur terre" (ceux qui vivaient déja là), dont ils vont unir les clans en les fédérant autour d'un principe monarchique. Ensuite, ayant cimenté un bloc racial tutsi, ils vont entreprendre la conquête des "territoires Hutu" à partir du XIVème-XVème siècle. Une pyramide d'état se mettra donc en place où les comptes ne se rendront qu'au sommet, au delà des clans (le Rwanda en compte déja 18 comprenant indifféremment des Hutu, des Tutsi et des Twas), au delà des territoires annexés et par le biais de représentants du pouvoir absolu mandatés en tous lieux de ce "pays en formation, le Rwanda".

De nombreux historiens pensent que les Nyiginyas ont dans leur propre intérêt, falsifié l'histoire, s'affirmant "tombés du ciel", d'origine divine, et se faisant l'écho d'une mythologie basée sur le principe de descendance patrilinéaire depuis "Gihanga",le pére de Gatwa, Gahutu et Gatutsi, les ancêtres des Twas, des Hutu et des Tutsi, Gihanga ayant choisi pour lui succéder, son fils le plus apte, Gatutsi, au terme d'une épreuve mettant en compétition les trois fils. Par la suite, les Tutsi privilégiés ne firent rien pour combattre cette idée reçue des "tombés du ciel" envahisseurs et conquérants, que l'histoire classique assimilera à tous les Tutsi, les privant ainsi de plus de 20 siècles d'histoire. Ce schéma réducteur servira aussi dans l'autre sens, aux inspirateurs du génocide de 1994 pour justifier l'injustifiable:

 

 

 

"Qu'on le veuille ou non, ce ne sont pas des Hutu qui ont fondé et maintenu le Rwanda, mais des Tutsi." ("Histoire du Rwanda". L'écriture de l'Histoire à travers le "prisme ethnique" semble captiver Bernard Lugan...)
Voilà donc 20 siècles d'histoire effacés par la volonté de la dynastie Nyiginya, sur lesquels ne reviendront ni les hauts lignages Tutsi au pouvoir jusqu'en 1959, ni les Hutu au pouvoir après 1959. Ces derniers chercheront toutefois à "noyer le poisson", prétendant que les "claneries hutu" conquises par les Nyiginya étaient en fait des "royaumes hutu", et martelant l'idée "faussement argumentée" selon laquelle le Rwanda n'existait pas avant la période coloniale...

Ainsi, Ferdinand Nahimana (photo), autre grand idéologue du génocide, qui écrira: "Le Rwanda, Emergence d'un état", livre dont l'édition fut financée par la Coopération française...

 

 

 

 

EN RESUME, quelles que fussent les manipulations historiennes d'une dynastie raciale Tutsi issue d'un des 18 clans recensés au Rwanda (d'autres chercheurs parlent de 27 clans), et qui régna sans partage durant plus de 5 siècles, force est de constater qu'à la fin du XIXème siècle, une grande partie du pays tel que nous le connaissons aujourd'hui, vivait sous la coupe réglée d'une monarchie absolue privilégiant les hauts lignages Tutsi, de "race supérieure" (pas plus de 10.000 personnes en 1959, soit environ 1% de la population tutsi), puis veillant à la protection de la vache et des "petits Tutsi" par le système pyramidal de l'"Ubuhake" tout en contrôlant dans ses zônes d'influence réelle, la "voracité de la houe" des paysans Hutu qui leur faisaient allégeance et bénéficiaient de leur protection. Des lois régulaient l'expansion trop rapide des terres cultivables qui portaient préjudice aux étendues de pâturage, d'autres régulaient les défrichages ou terres cultivables nouvellement créées. A cela, une raison évidente, une sorte de "raison d'Etat"...la croissance démographique. Les sociétés pastorales africaines ont de tous temps, appris à contrôler les naissances pour survivre et s'aligner sur le "croît" des troupeaux. Ainsi, les pasteurs étaient toujours minoritaires par rapport aux agriculteurs...

Equation de l'agriculteur: plus il a faim, plus il a besoin de terre, et plus il a besoin de bras pour cultiver, et plus il a de bouches à nourrir, et plus il a besoin de terres...etc...La monarchie semblait juguler cette exponentialité par les lois limitatives d'Ibikingi et d'Ubukonde citées plus haut, cela jusqu'à l'arrivée des pères blancs, des colons et des coopérants pour qui le contrôle des naissances passait pour inutile, et "pas très catholique" et lesdites lois, initiées simplement pour les privilèges renforcés des élites Tutsi. Cette croissance démographique unique au monde durant leurs mandats respectifs, porte sans doûte en elle un des germes du génocide de 1994.

 

 

 

 



23/10/2010
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